(...)
La douleur ne veut plus faire qu'un avec moi, peser sur moi, se dilater, s'étendre en moi, être ma ville, moi son unique habitant, régner,avoir son saoul en moi.
Où la fourrer, où la parquer, la tenir à l'écart, à quelle fenêtre afin qu'elle se divertisse toute seule, souffrance que je voudrais noyer, faire éclater ... Mais elle vit de moi. Elle ne peut pas vivre ailleurs.
L 'infini peut-être l'absorberait ...
Comment lui faire absorber ma souffrance ? Comment la désubstantialiser ? Souffrance est matière première qui reste première, intransformable.
Tout de même, je réfléchis. Comment dissoudre ma souffrance ? Il y a là sûrement un manque d'intelligence de ma part. Je voudrais, cette souffrance, qu'elle fasse explosion. Ce n'est pas cela -- hélas -- réfléchir.
Un seul os cassé a arraisonné ma vie. Mal avance, et moi je ne peux plus avancer. Profond en mon corps le mal s'enfonce ... et moi l'esprit dépaysé par ses rapports hurlants ... (il ne peut donc pas avertir de façon plus discrète, plus conforme à ma nature ?).
Mal que je dois goûter goutte à goutte.
Mal ! Mal ! Mal ! mal sans cesse qui dévale en moi et sa fanfare folle, sa trompette déchirante, pour moi seul. Mal et moi horrible "entre-nous", rideaux tirés. Mal qui survit à tout comme un culte inepte transmis incompris, commandement dépassé auquel on reste soumis.
Mal ! Mal !
(...)
Henri Michaux