12 February 2020

il faudrait une bonne révolution

Les premières semaines tu es resté complètement au lit, sans bouger. Tu ne savais plus parler, tu ne pouvais plus que crier. C’était la douleur, elle te faisait te réveiller la nuit et crier, ton corps ne pouvait plus se supporter lui-même, tous tes mouvements et tes déplacements les plus minuscules réveillaient tes muscles ravagés. Tu prenais conscience de l’existence de ton corps dans la douleur, par elle.

Et puis la parole est revenue. Au début, c’était seulement pour demander de la nourriture et à boire, et avec le temps tu as recommencé à faire des phrases plus longues, à exprimer des désirs, des envies, des colères. La parole ne remplaçait pas la douleur. Il ne faut pas se tromper là-dessus, il faut dire les choses. La douleur n’a jamais disparu.


L’ennui a pris toute la place dans ta vie. Je te regardais et j’apprenais à voir que l’ennui est ce qui peut arriver de pire. Même dans les camps de concentration on pouvait s’ennuyer. C’est étrange de le penser. Imre Kertész le dit, Charlotte Delbo le dit, même dans les camps de concentration, même avec la faim, la soif, la mort, l’agonie pire que la mort, les crématoires, les chambres à gaz, les exécutions sommaires, les chiens toujours déjà prêts à vous déchiqueter les membres, le froid, la chaleur, la chaleur et la poussière qui entrent dans la bouche, la langue qui durcit comme un morceau de béton à l’intérieur de la bouche privée d’eau, le cerveau asséché qui se rétracte dans la boîte crânienne, le travail, le travail encore, les puces, les poux, la gale, la diarrhée, la soif encore, malgré tout ça, et tout ce que je n’ai pas dit, il y avait encore de la place pour l’ennui, l’attente de l’événement, celui qui ne viendra pas ou qui tarde trop à venir.
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Hollande, Valls, El Khomri, Hirsch, Sarkozy, Macron, Bertrand, Chirac. L’histoire de ta souffrance porte des noms. L’histoire de ta vie est l’histoire de ces personnes qui se sont succédé pour t’abattre. L’histoire de ton corps est l’histoire de ces noms qui se sont succédé pour le détruire. L’histoire de ton corps accuse l’histoire politique

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